Les êtres humains peuvent-il vraiment changer ? Ou sont-ils condamnés à penser, ressentir et agir en fonction des caractéristiques qu’ils ont acquises dans les premiers moments de leur vie sous l’effet de leur biologie ou de leurs expériences infantiles ? Ce qui amène à cette question corollaire : disposons-nous aujourd’hui de preuves scientifiques attestant qu’un être humain peut changer sous l’effet d’une psychothérapie ? Examinons ces questions passionnantes.

Les capacités intellectuelles peuvent-t-elle changer ?

Boris Cyrulnik, célèbre psychiatre et psychothérapeute a vu toute sa famille exterminée dans le cadre de la Shoa. Il en était sans doute extrêmement traumatisé et ses capacités intellectuelles en ont été affectées. Il raconte que vers l’âge de six ans, on lui prédisait un avenir en tant que «valet de ferme», comme on disait à l’époque. Quelques décennies plus tard, il est devenu cet intellectuel, ce scientifique et thérapeute de renom, habitué des plateaux de télévision, auteur à succès, conférencier.

On voit donc que sous l’effet de ce que l’on appelle la plasticité neuronale (1), c’est-à-dire la capacité du cerveau tout au long de notre vie à tisser de nouveaux réseaux neuronaux, un homme peut changer profondément dans ses capacités intellectuelles. Ce qui fait dire à Boris Cyrulnik avec le franc-parler et l’humour qu’on lui connait : « on peut être débile à 7 mois et viser le Prix Nobel à huit ans ».

La personnalité peut-elle changer ?

Beaucoup d’entre nous sont convaincus que la personnalité s’installe dans les premières années de notre vie et qu’elle ne peut pas foncièrement changer ultérieurement. La plus longue étude de personnalité jamais réalisée semble pourtant démontrer le contraire.

En 1950, une enquête avait été menée auprès de 1208 jeunes de 14 ans. Six questionnaires avaient été alors utilisés par leurs enseignants pour évaluer six traits de personnalité. 60 ans plus tard, des chercheurs (2) ont retrouvé les participants de l’étude initiale qui était alors âgés en moyenne de 77 ans. Ils s’attendaient à retrouver une certaine constance des traits de personnalité.

Les résultats suggèrent que certains aspects de la personnalité à un âge avancé, tel que la stabilité de l’humeur, peuvent effectivement être liés à la personnalité dans l’enfance. Mais pour le reste et contrairement à une croyance largement répandue, la principale conclusion des chercheurs est qu’il y a généralement peu de corrélation entre la personnalité dans l’enfance et celle qui est observée 60 ans plus tard. La personnalité peut donc changer assez profondément au cours de la vie.

Une pratique thérapeutique peut-elle produire des changements dans le corps ?

Voyons maintenant si une pratique thérapeutique peut produire dans le corps des changements observables et éventuellement durables. Et pour l’exemple, appuyons-nous sur la pratique de l’EFT (Emotionnal Freedom Techniques, « technique de libération émotionnelle » en français. Voici brièvement le principe d’une séance d’EFT : on va exposer le patient à l’émotion qui le fait souffrir dans le présent ou à un souvenir traumatique en l’invitant à se replonger par la pensée dans le film de l’événement : « quelles sont les images, les émotions, les sensations que vous ressentez…? ». Dans le même temps, le thérapeute (ou le patient lui-même) va stimuler des points de terminaison de méridiens sur son corps.

Les méridiens sont ces circuits dans lesquels circule notre énergie et qu’utilisent notamment les acupuncteurs. Tels les rayons d’une roue, ces méridiens sont reliés à ce que l’on appelle parfois des « centres énergétiques » et qui correspondent à peu près à ce que l’on désigne par « plexus » en anatomie, c’est-à-dire des points de croisement de fibres nerveuses entrelacées (plexus cervical, brachial…). A l’endroit ou se croisent ces fibres, le champ électromagnétique produit par le corps est plus intense. En stimulant une série de points de terminaison de méridiens, le praticien va produire un changement au niveau des centres énergétiques, ce qui est présumé transformer la mémoire traumatique et libérer le patient de ses effets.

Les effets de l’EFT ont commencés a acquérir une certaine popularité après la publication d’études portant sur son utilisation auprès de vétérans états-uniens victimes de traumatismes de guerre et notamment après une recommandation de l’US Army en 2010 (3). Même si les mécanismes par lesquels agit l’EFT font encore l’objet de différentes hypothèses, ses effets, quant à eux ne font pas de doute.

Les effets de l’EFT sur l’expression de certains gènes

Une chercheuse du nom de Beth Maharaj (4) s’est intéressée à l’effet d’une séance d’EFT sur l’expression de certains gènes. On estime qu’un être humain porte environ 21 000 gènes. Mais seulement une partie d’entre eux sont dits « exprimés » ou « actifs », ce qui signifie que l’information qu’ils contiennent déclenche la synthèse d’une ou de plusieurs molécule(s) qui constitue(nt) l’organisme. Après une séance d’EFT d’une heure, les chercheurs ont procédé à un test salivaire et mesuré les gènes qui s’étaient exprimés sous l’effet de cette séance.

L’étude conclue que cette séance d’EFT a eu des effets très significatifs sur l’expression de nouveaux gènes, en l’occurrence 72 nouveaux gènes favorables à la santé. : « Parmi les nombreux gènes affectés, on trouve ceux impliqués dans la suppression des tumeurs cancéreuses, la protection contre les rayons ultraviolets du soleil, la résistance à l’insuline du diabète de type 2, l’immunité contre les infections opportunistes, l’activité antivirale, la connectivité synaptique entre les neurones, la création de globules rouges et blancs, l’amélioration de la fertilité masculine, la formation de matière blanche dans le cerveau, la régulation métabolique, la plasticité neuronale, le renforcement des membranes cellulaires et la réduction du stress oxydatif ».

Les effets de l’EFT sur le profil d’activité cérébrale

Le docteur Dawson Church est un expert bien connu en EFT (5). Dans le cadre de certains des ateliers qu’il animent, des participants sont branchés sur un électroencéphalogramme afin d’observer la combinaison d’ondes cérébrales qui représente leur schéma personnel, leur signature en quelque sorte. Avant la séance, le schéma de ces personnes en souffrance se rapproche de ce que l’on appelle « l’esprit du singe », caractérisé par une dominance d’ondes bêta, ces ondes à haute fréquence et notamment des ondes bêta plus qui signalent un état de grande anxiété.

Après la séance, la manière dont le cerveau traite l’information a profondément changé. Le schéma personnel d’activité cérébrale des patients se rapproche maintenant de ce que l’on appelle « l’état d’éveil ». On observe cette fois une présence plus marquée des ondes Alpha qui caractérisent le calme mental. Les ondes thêta, favorables à l’apprentissage et au sentiment de bien-être ont beaucoup augmenté Les ondes Delta également, ces ondes à faible fréquence qui caractérise la transe. On voit donc que les résultats obtenus sont à la fois sont nets et rapides. Reste à savoir si ces effets sont durables.

Les effets sont-ils durables ?

Une autre étude menée en Californie, à l’institut Esalen, s’est intéressée à cette question. Les mesures ont cette fois été effectuées après des ateliers intensifs d’une durée de cinq jours. Que peut-on observé six mois après ? On note que le taux de cortisol reste encore diminué de l’ordre de 37 %. Le cortisol est l’une des hormones qui caractérise un état de stress lorsqu’elle est en excès. L’immunoglobuline A salivaire qui est un indicateur de l’efficacité du système immunitaire, a augmenté de 113 %. Le rythme cardiaque au repos est inférieur de 8 % à ce qu’il était avant l’atelier. La tension artérielle est encore inférieur de 6 %. On voit donc que six mois après la plupart des résultats obtenus se sont maintenus.

Les effets neurologiques de la méditation de pleine conscience

Intéressons-nous maintenant aux effets physiologiques d’une autre pratique très en vogue depuis quelques années : la méditation de pleine conscience. Une chercheuse du nom de Sarah Lazar à l’école médicale de Harvard, aux États-Unis (6), a fait pratiquer un programme de méditation durant huit semaines à des personnes qui n’avait jamais pratiqué auparavant et ce, à raison d’environ 40 minutes par jour.

Après ces huit semaines, qu’a-t-on observer ? Des changements profonds dans le cerveau, en particulier dans une structure qui s’appelle l’amygdale, qu’on nomme parfois le « centre de la peur ». L’amygdale c’est cette structure qui est responsable de nos réactions lorsque nous devons combattre ou fuir, autrement dit lorsque notre survie est en jeu. Après huit semaines la taille de l’amygdale a diminué. La matière grise dans l’amygdale c’est-à-dire le nombre de connexions neuronales a régressé et ces personnes sont devenus beaucoup moins sensibles à des stimuli anxiogènes.

On voit donc que certaines pratiques thérapeutiques apporte non seulement des changements physiologiques, c’est-à-dire touchant le fonctionnement de mon corps, mais peuvent aussi produire des changements structurels dans le cerveau. L’équipe de Sarah Lazar a également trouvé « des preuves que la méditation peut ralentir l’atrophie de certaines zones du cerveau liée à l’âge ».

Une psychothérapie peut-elle avoir un impact sur une maladie organique ?

Une maladie organique est une affection dans laquelle on repère, par des examens médicaux, des lésions, par exemple. Une forme de psychothérapie peut-elle avoir un impact sur ce type de maladie ? Il faut évidemment être très prudent lorsque l’on aborde ce type de question pour ne pas susciter de faux espoirs. Que peut-on dire sans prendre de risque ? Qu’il y a un lien entre bon nombre de maladies organiques et des traumatismes. J’en veux pour preuve l’une des plus importantes et des plus longues études menées sur cette question, l’étude ACE (7).

Cette étude a montré que les traumatismes vécu dans l’enfance augmentent considérablement la probabilité de développer à l’âge adulte bon nombre de maladies psychiques, de comportements à risques et aussi de maladies organiques, telles que l’obésité ou encore les cancers.

Les expériences traumatiques de l’enfance augmentent le risque de maladies et comportements dangereux (7)
L’étude des patients déclarant quatre ACE (expériences traumatiques infantiles) au moins, par rapport au sujet sans aucune ACE déclarée, a montré une augmentation nette du risque pour certains comportements et maladies :

  • Maladie cardiaque : 2,1 fois plus de risques
  • Obésité : 1,5 fois plus de risques
  • Cancer : 1,5 fois plus de risques
  • Maladie hépatique : 1,9 fois plus de risques
  • Tabagisme : 2,6 fois plus de risques
  • Usage de drogues en intraveineuse : 40 fois plus de risques
  • Promiscuité sexuelle (plus de 50 partenaires) : 2,1 fois plus de risques
  • Infection sexuellement transmissible : 2,9 fois plus de risques
  • Etre victime d’une agression sexuelle (femme) : 9 fois plus de risques
  • Etre victime de violence physique (femme) : 4,8 fois plus de risques
  • Etre un « binge drinker » (consommation de grandes quantités d’alcool en un temps réduit) : 1,7 fois plus de risques
  • Problème de santé mentale : 3,1 fois plus de risques (soit + 310 %).

En conséquence, en complément d’un traitement médical, traiter les traumatismes qui sont raisonnablement suspectés d’être à l’origine, ou d’avoir déclenchés, ou d’entretenir certaines de ces maladies, c’est se donner le maximum de chances de les voir disparaître ou régresser.

J’espère vous avoir apporté quelques bonnes nouvelles. En tous les cas, les faits que nous avons balayés laissent entendre que nous ne sommes pas tenu en laisse toute notre vie par des traits de caractère ou des symptômes qui seraient hérités de notre enfance. En prenant la décision de changer – et il ne faut pas se mentir – en usant avec vigueur et persévérance de certaines pratiques thérapeutiques, nous nous ouvrons à la possibilité de changer profondément dans notre esprit et notre corps.

Philippe Coat